Pêche aux thons avec Airosa
Extrait du journal Sud Ouest du 26 juillet ( PHOTOS J-DANIEL CHOPIN TEXTE Arnaud Dejeans ) :
Où est-ce qu’ils sont ces thons ? » peste le patron Didier Martinez, les yeux rivés sur l’écran du sonar. À l’avant du bateau, alignés comme des sardines, les guetteurs ironisent : « Dans l’océan certainement ». Voilà cinq heures que l’équipage scrute la surface des eaux en espérant apercevoir un banc de thons rouges. Pas un frétillement à se mettre sous l’œil, ni un dadin à l’horizon, cet oiseau noir annonciateur. Le temps passe, le thon s’évapore.
Pour éviter de se transformer en figure de proue, Jojo, Jean-Claude, Alain, David et Paxkal enchaînent machinalement les cigarettes. « Le thon rouge, c’est toujours pareil, il faut être patient », témoigne Jean-Claude, dit « l’Ancien ». À 70 ans, cet ancien patron, qui a connu les grandes campagnes sénégalaises, vient donner un coup de main à l’équipage : « La pêche au thon rouge, c’est la plus belle ».
L’échine de l’océan frétille
Depuis ce matin, les cannes font bronzette. Des heures de navigation, au large du Cap Figuier ou de Capbreton. La mélodie lancinante du moteur, un disque rayé. Et maintenant, l’« Airosa » est quelque part à 18 milles (30 kilomètres) des côtes, là où la houle d’un lendemain d’orage transforme les estomacs en volcans furieux. Qu’il est loin le quai du port de Saint-Jean-de-Luz, où la vieille coque du canneur-bolincheur gazouillait encore à six heures ce matin.
Tout à coup, un cri fend la mer en deux. C’est Didier qui s’agite en voyant le sonar rougir. Très vite, les guetteurs confirment l’information : l’échine de l’océan tremble à une dizaine de mètres de là. C’est à Paxkal, le peitelo (prononcer peytelo) de jouer. Tel un pilotari, il jette les appâts vivants à l’aide d’un chistera de fortune, un bidon en plastique coupé en deux. Il plonge l’épuisette dans le vivier et récupère les chinchards. Il y a trois jours, l’équipage a passé la nuit dans la rade de Saint-Jean-de-Luz pour pêcher ces friandises dont raffole le thon rouge. « C’est bon, ça bouge », confirme Didier en actionnant un bouton dans la cabine. Une dizaine de jets d’eau, lances de CRS pendant les manifs, viennent troubler la surface de l’océan. « C’est pour cacher la coque du bateau », confirment les spécialistes. La technique fonctionne à merveille.
L’« Airosa » peut avancer à deux nœuds maintenant que le banc de thons est aimanté par le peita (l’appât, en basque). Les cannes, grandes comme les perches de Renaud Lavillenie, et les hameçons 5.0 peuvent entrer en action. Ce sont les plus expérimentés qui sont à la manœuvre : Jean-Claude et Jojo. Là-haut, sur le toit de la cabine, David et Alain actionnent les manivelles reliées aux cannes pour arracher les thons de leur élément. Ce poisson a le sang chaud. Et il faut toute la technique des anciens et les muscles des plus vaillants pour soulever ces bêtes en furie, prêtes à briser la coque du bateau une fois prises au piège.
La canne se hisse, une ombre s’approche. Un thon fend le nuage d’eau, tel un spectre, la gueule grande ouverte. Il est temps de dégainer le croc, ce crochet si pointu et solide qu’il transformerait le granit d’une pyramide en une vulgaire tome de fromage. Une fois le thon crocheté, il faut remonter le fauve. Place aux gladiateurs : c’est Jean-Yves qui s’y colle, bientôt rejoint par David et Didier. Pendant une heure, les pêcheurs se relaient pour décapsuler les thons de l’océan. Et il faut calmer leurs dernières ardeurs à grands coups de masse.
Gladiateurs de la mer
Si l’hameçon fait « huts » (zéro), il est immédiatement remonté. Le chinchard est alors remplacé par un autre : « Il faut un appât vivant très vif pour attirer le poisson. Sinon, cela ne marche pas », précise le patron. Les visages se crispent en même temps que les muscles. Les figures sont recouverts de sang, de sueur et d’eau salée. Le thon n’est pas là pour jouer, aucun arbitre pour siffler une pause.
Finalement, après plus d’une heure de combat, le banc s’éloigne. Les cannes se dressent en signe de victoire. « On a sauvé la journée », souffle Didier en scrutant la soixantaine de thons à l’arrière du bateau. Un coup de jet pour effacer les traces de l’affrontement, et les poissons sont plongés dans la glace. Ce mardi, Didier Martinez et son équipage ont pêché près d’un dixième de leur quota de thon rouge de la saison. « En quelques semaines seulement, on fait 50 à 60 % de notre chiffre d’affaires annuel. C’est dire si cette campagne est importante », conclut le patron, fier d’être l’un des derniers garants de cette pêche ancestrale.
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