Souvenirs ... souvenirs
La dernière conserverie du port, qui employait 130 personnes, a mis la clé sous la porte en février 1997. Un triste anniversaire.
Il y a la carte postale : l'alignement des dizaines de bateaux dans le port qui permettait de traverser la Nivelle à pied en sautant de coque en coque. Et les souvenirs olfactifs : l'odeur du poisson transformé dans les conserveries de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure qui embaumait toute la baie. Une époque totalement révolue qui est pourtant tatouée dans les mémoires des anciens.
Il y a 15 ans, presque jour pour jour, la dernière conserverie du port fermait ses portes. C'était le 28 février 1997. L'usine comptait 131 salariés. Après des années de lutte et de négociations, Saupiquet décidait de centraliser sa production en Bretagne et à l'étranger, au détriment de son site cibourien.
« C'était révoltant »Un tremblement de terre pour le quartier maritime, qui comptait encore sur son territoire 23 conserveries en 1956 ! En 1976, il restait
encore six conserveries qui employaient 1 200 personnes et qui traitaient 20 000 tonnes de poisson (90 % ne transitaient plus par la criée locale). En 1991, l'usine Saupiquet de Ciboure était leader européen de la conserve de sardine (8 000 tonnes soit 40 % de la production française) avec 130 salariés fixes et 30 à 100 intérimaires. « Tout le monde avait un membre de sa famille qui travaillait ou avait travaillé dans une conserverie », se souvient Michel Jimenez, mécanicien pendant 30 ans à Saupiquet.
Mais l'ouverture des frontières européennes et la concurrence féroce des pays émergents ont changé les règles du jeu. « La fermeture a été vécue comme un traumatisme en 1997, soupire Henri Anido, qui travaillait aussi au service entretien. Avant de partir, la direction nous avait demandé de démonter les machines et de les installer dans l'usine de Quimper. Mais nous avons refusé : il était impossible pour nous de démonter un outil qui a nourri nos familles pendant tant d'années. C'était révoltant. Je comprends maintenant la réaction de certains ouvriers qui apprennent leur licenciement du jour au lendemain. »
Un souvenir douloureuxMême avec une reconversion réussie, le souvenir est toujours aussi douloureux pour ces anciens de Saupiquet. Michel Jimenez tient désormais la poissonnerie Uhaina à l'espace Eskalduna route de Bayonne. Et Henri Anido est à la tête de deux commerces aux halles de Saint-Jean-de-Luz et à Marinela. Avec le recul, ils savent que la concurrence étrangère aurait eu, tôt ou tard, la peau et les écailles de l'usine de Ciboure. « Mais elle aurait pu survivre quelques années de plus. »
La conseillère régionale Sylviane Alaux, qui a suivi de près le dossier en tant qu'attachée parlementaire de la députée européenne Nicole Péry, garde un goût amer de cet épisode : « De grosses subventions avaient été accordées pour moderniser l'usine Saupiquet. Et quelques années plus tard, la direction décidait de fermer le site pour le transférer à Quimper ! Il y a bien eu une politique de reclassement des ouvriers, mais beaucoup sont restés sur le carreau, contrairement à ce que promettait Saupiquet. » Le plan social aux ramifications complexes n'a pas porté ses fruits en effet. Les projets Valdeliss, les Pêcheries basques ou Orma ont fait long feu par exemple.
La mémoire du portD'autres observateurs du dossier, qui assurent que des solutions auraient pu être trouvées pour recréer une nouvelle dynamique autour de la sardine, estiment que la cacophonie politique et les divergences entre les élus (le maire de Saint-Jean-de-Luz Paul Badiola, le maire de Ciboure Albert Péry et la députée Michèle Alliot-Marie) avaient largement desservi la cause des ouvriers.
Avec le recul, ces derniers estiment que l'arrivée du directeur du site de Quimper à la tête de l'usine cibourienne a été le tournant dans ce dossier : « Saupiquet voulait concentrer toutes ses activités françaises sur un seul site. Quand il a fallu choisir entre Quimper et Ciboure, le directeur a prêché pour sa paroisse. »
Résultat, Saupiquet a fermé les portes de l'usine à double tour, emportant au passage toutes ses machines. « C'est dommage, ils auraient pu en laisser au moins une ici », regrette un ancien de l'usine. Pour la mettre dans un musée ? Les conserveries font désormais partie de la mémoire du port.